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L'enfant qui
a grandi sans apprendre de langue était autour de 1800 une question
essentielle (Brigitte Schlieben-Lange, 1981) pour la philosophie
et pour les sciences de l'homme.
Les philosophes
et les savants de la fin du dix-huitième siècle n'ont cessé de se
demander de quelle manière l'homme acquiert ses connaissances, comment
il parvient à parler et quel est le rôle de la société dans son
développement. Ils n'ont cessé de croire à la possibilité d'isoler
de tout contact humain des nouveaux-nés pour observer leur développement
intellectuel et linguistique et pour déterminer ce que l'homme doit
à ses propres capacités, d'un côté, et à son éducation, de l'autre.
C'est la raison pour laquelle les enfants privés de la capacité
de parler attiraient fortement l'attention des scientifiques. Comment
les enfants sourds-muets formaient-ils des idées par rapport aux
enfants qui entendaient? Étaient-ils, comme ceux-ci, capables de
former des idées complexes et abstraites? Leur langage gestuel n'était-il
pas la première étape du développement de toute langue? Quelle était
la somme des idées acquises par les nombreux enfants abandonnés
dès leur plus jeune âge par leur famille et obligés de vivre seuls?
Était-il possible de leur apprendre à parler? Ce sont des questions
auxquelles on aspirait à répondre de la manière la plus détaillée
possible en se basant uniquement sur des faits préalablement observés.
Le but était de reconstituer la naissance des idées et de la langue
à partir de cas concrets qu'on considérait comme une sorte d'extrait
du développement du genre humain. C'est pourquoi les professeurs
de Grammaire Générale des Écoles Centrales nouvellement créées en
1795 en discutent, car ils ont pour tâche de faire découvrir à leurs
élèves tout ce qui se passe en eux quand ils pensent, parlent et
raisonnent.
L'apparition
de l'enfant sauvage était donc philosophiquement bien préparée
(Hans Blumenberg, 1989) lorsque, au début de l'année 1800, un petit
garçon qui avait apparemment vécu dans les forêts et qui ne parlait
pas, fut capturé dans le département de l'Aveyron. Le jeune médecin
de l'Institution Nationale des sourds-muets, Jean-Marc Gaspard Itard,
prend en charge l'éducation de cet enfant sauvage et présente ses
résultats devant la Société des Observateurs de l'homme
dans un premier mémoire de 1801 (De l'éducation d'un homme sauvage
ou des premiers développements physiques et moraux du jeune sauvage
de l'Aveyron), et dans un deuxième en 1806 (Rapport fait
à son excellence le ministre de l'Intérieur sur les nouveaux développements
et l'état actuel du sauvage de l'Aveyron). Destutt de Tracy,
le chef de file d'un groupe de chercheurs appelés Idéologues,
avait réclamé qu'on observe un enfant sauvage avec les précautions
nécessaires et les détails suffisants (Élémens d'idéologie, 1801).
C'est Itard qui répondra à cette exigence dans ses mémoires.
François Truffaut
s'inspire des rapports d'Itard et tourne sur le sujet le célèbre
film L'enfant sauvage (1969), qui a profondément marqué notre
image de cet enfant. Le metteur en scène lui-même y joue le rôle
du docteur Itard, tout en se servant de plus de cinquante citations
puisées dans les textes originaux.
La discussion du cas de l'enfant sauvage de l'Aveyron persiste jusqu'à
nos jours, donnant lieu à de nombreuses publications.
L'exposition
montre quelques éléments de l'éducation de l'enfant sauvage tout
en les intégrant dans la discussion linguistique de l'époque.
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