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Destutt de Tracy et les Idéologues
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  4 Destutt de Tracy et les Idéologues  
  Panneau / Wandtafel:  
     
  Illustrations / Bilder:  
 
  • Anne-Catherine HELVÉTIUS, surnommée Notre-Dame d'Auteuil par ses hôtes
    (* Nancy, 22 juillet 1722
    † Auteuil, 13 août 1800)
  • Pierre-Jean-Georges CABANIS
    (* Cosnac, 1757
    † Paris, 5 mai 1808)
  • Antoine-Louis-Claude DESTUTT DE TRACY
    (* Paris, 20 juillet 1754
    † Paris, 9 mars 1836)
 
  Texte / Text:  
 
Le cercle d'Auteuil

C'est dans le salon de Madame Helvétius, qui avait successivement reçu les Encyclopédistes (Diderot, d'Alembert, d'Holbach) et les savants de la génération suivante (Condorcet, Turgot etc.), que se forme à Auteuil, à l'époque de transition entre Lumières et Révolution, le cercle des Idéologues, dont Cabanis, Destutt de Tracy, Ginguené, Daunou, Volney. En 1778, le futur médecin Cabanis est présenté à Madame Helvétius, qui l'adopte comme un fils. Peu après, il s'installe dans sa maison, où il rencontre, parmi ses invités, Condillac. C'est là le lieu de discussions philo-sophiques animées avec son ami Destutt de Tracy et les autres membres du Cercle d'Auteuil, qui renoue avec la tradition du débat philosophique. La pluralité des problèmes qui y sont discutés se cristallise de plus en plus autour d'une théorie qui essaie de résoudre tout problème philosophique à l'aide de la science des idées, créant ainsi l'Idéologie. C'est Destutt de Tracy qui avait formulé ces réflexions théoriques lors de son incarcération sous la Terreur et les avait soumises à la discussion au salon de Madame Helvétius après sa réouverture postthermidorienne. Pendant les dernières années de l'existence de ce cercle, Destutt de Tracy le marque de son empreinte plus qu'aucun autre et devient le chef de file des Idéologues.

Une science nouvelle - une science universelle?

Comment percevons-nous le monde? Que faisons-nous quand nous pensons et parlons? Comment raisonnons-nous? Quel rapport y a-t-il entre les signes et la pensée? Ce sont des questions philosophiques millénaires, aujourd'hui examinées par les sciences cognitives. C'est sur ces mêmes questions que se sont penchés les Idéologues. En 1796, Destutt de Tracy introduit le terme d'Idéologie pour désigner la science qui essaie d'y répondre, à savoir la science des idées. Cette science, qui poursuit la connoissance de la génération de nos idées, n'a plus pour objet la connaissance des causes premières, comme c'était encore le cas chez Condillac, mais de leurs effets. [...] la connoissance de la génération de nos idées est le fondement de l'art de communiquer ces idées, la grammaire; de celui de combiner ces mêmes idées et d'en faire jaillir des vérités nouvelles, la logique; de celui d'enseigner et de répandre les vérités acquises, l'instruction; de celui de former les habitudes des hommes, l'éducation; de l'art plus important encore d'apprécier et de régler nos désirs, la morale; et enfin du plus grand des arts, au succès duquel doivent coopérer tous les autres, celui de régler la société de façon que l'homme y trouve le plus de secours et le moins de gêne possible de la part de ses semblables (Destutt de Tracy, Mémoires sur la faculté de penser, 1796). L'Idéologie se veut distincte de la psychologie et de la métaphysique. Ces deux dernières sont trop vagues, trop incertaines: la psychologie fait référence à l'âme et donc à une cause première qu'on ne peut définir de façon objective, mais seulement à l'aide d'hypothèses; la métaphysique, elle, concerne quelque chose qui se trouve au-delà de la physique et est par là opposée aux sciences exactes. C'est pourtant précisément parmi celles-ci (zoologie, botanique, chimie et physique) que Destutt de Tracy place l'Idéologie, réunissant ainsi les sciences humaines et les sciences exactes dans une science de l'homme. L'idéologie est une partie de la zoologie, et c'est sur-tout dans l'homme que cette partie est importante et mérite d'être approfondie (Destutt de Tracy, Élémens d'idéologie, 1801). C'est elle, enfin, la 'mère' de toutes les sciences: Ainsi on pourroit, ce me semble, aller jusqu'à dire que la connoissance de l'entendement est proprement la science unique; que toutes les autres, sans exception, ne sont que des applications de celle-là aux divers objets de notre curiosité, et qu'elle doit en être le flambeau (Destutt de Tracy, Mémoires, 1796). Elle est basée sur l'observation et la description des faits et va toujours du connu à l'inconnu. La fondation de la Société des observateurs de l'homme en 1799 est un exemple de la mise en œuvre de la science idéologique: toutes les branches de la science de l'homme y sont représentées. C'est un de ses membres, le médecin Philippe Pinel, qui, en 1800, donnera un rapport défavorable sur le sauvage de l'Aveyron.

Qu'est-ce qu'un Idéologue?

Cabanis, Daunou, Destutt de Tracy, Garat, Degérando, Ginguené, Lakanal, Maine de Biran, Volney et bien d'autres - tous sont qualifiés d'Idéologues. Mais qu'est-ce qui les relie? Suivent-ils tous une même doctrine? Dans sa Métaphysique de Kant (1798), Destutt de Tracy présente son point de vue sur le sujet: [...] pour reconnoître une vérité démontrée, on n'est de l'école de personne, pas même de celui qui l'a découverte le premier. On n'est de la secte de quelqu'un que pour adopter celles de ses opinions qui sont contestables. C'est pour cela qu'aujourd'hui nous autres Français, dans les sciences idéologiques, morales et politiques, où peu de choses sont rigoureusement prouvées, nous n'avons aucun chef de secte, nous ne suivons la bannière de qui que ce soit. Chacun de ceux qui s'en occupent a ses opinions personnelles très-indépendantes. Être Idéologue ne signifie donc pas se soumettre à une doctrine absolue, mais partager certaines vues philosophiques basées sur la tradition des Lumières, d'un Condillac ou d'un Lavoisier, Idéologues avant la lettre, qu'il faut cependant dépasser en fonction de nouvelles vérités. Ainsi, les Idéologues renouent avec Condorcet, qui croit à la perfectibilité de l'homme qui s'effectue à travers la perfectibilité des signes.

Communiquer l'Idéologie

Les projets pédagogiques se trouvent au centre du mouvement idéologique. Outre l'École Normale et l'Institut National, ce sont les Écoles Centrales, établies dans chaque département du pays, qui sont si chères aux Idéologues. Elles marquent une rupture avec le système d'enseignement de l'Ancien Régime et propagent l'enchaînement des connaissances comme maxime pédagogique. Une des innovations les plus importantes est l'introduction d'une nouvelle matière: la Grammaire Générale, la science des signes entendue comme la continuation de la science des idées. Comme tout emploi d'un langage, toute émission de signes est un discours, l'objet de la Grammaire Générale est l'analyse de toutes les espèces de discours. La Grammaire Générale se trouve au centre du programme d'enseignement des Écoles Centrales. C'est pour elles que Destutt de Tracy écrit ses Élémens d'idéologie (1801 ss.), qu'il comprend comme un texte à commenter, un canevas à remplir par les professeurs de Grammaire Générale. Ces derniers sont tenus d'écrire des cours de Grammaire Générale destinés à servir de manuel pour cette matière, que les Idéologues considèrent comme la clef de voûte de l'éducation postthermidorienne.