Comment former des enfants sages?
Victor, l'enfant sauvage - mythe et réalité
Brigitte Schlieben-Lange en tant que Dix-huitièmiste
Brigitte Schlieben-Lange
La révolution de la langue et de l'instruction
Comment former des enfants sages?
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La formation du discours: La Grammaire Générale
Le sujet de l'expérience pédagogique: l'enfant sauvage de l'Aveyron
Destutt de Tracy et les Idéologues
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  3 La révolution de la langue et de l'instruction  
  Panneau / Wandtafel:  
     
  Illustrations / Bilder:  
 
  • Le calendrier révolutionnaire
  • L'École Normale de l'An III
  • Vignette de la Commission de l'Instruction Publique
  • Carte de la France divisée en 103 Départemens. Avec partie des Pays et Etats Limitrophes.
    An 6 de la République Française (1797/98).
    Gravure de P.F. Tardieu. (PPH)
 
  Texte / Text:  
 
La langue à la hauteur de la Révolution

Dans leur aspiration à rompre radicalement avec la société et les symboles de l'Ancien régime, les acteurs de la Révolution Française attachent une importance primordiale à la régénération de la langue. Les mots employés jusqu'ici par les aristocrates ne peuvent plus être les mêmes pour les révolutionnaires. A part la création d'une foule de néologismes, c'est la signification des mots qui est fondamentalement mise en question. La discussion autour de l'abus des mots, discussion de grande actualité pendant les Lumières, atteint un point culminant pendant la Révolution Française. Adhérants et adversaires de la Révolution s'accusent réciproquement de falsifier la langue pour atteindre leurs buts politiques respectifs.
Comment pourrait-on mieux remédier à cet abus et établir un nouvel usage de la langue française qu'avec un dictionnaire? A partir de 1789 de nombreux auteurs rédigent des dictionnaires révolutionnaires et contre-révolutionnaires pour recueillir et discuter les changements survenus dans la langue française. Le grammairien patriote François-Urbain Domergue, futur professeur de Grammaire Générale à l'École Centrale des Quatre Nations prend parole, lui aussi, en faveur de l'élaboration d'un dictionnaire régénéré:
...erreurs politiques, danger à chaque page, à chaque mot, tels sont nos lexiques depuis le riche portatif, jusqu'au grand dictionnaire des quarante immortels, dont l'heureuse mort a délivré la langue des chaînes où elle languissoit esclave, pauvre, sans honneur et sans courage. Faisons un dictionnaire républicain, avoué par la raison, par le goût, par la saine politique, où chaque mot, peignant une idée juste, l'œil du français ne soit plus blessé en lisant ces définitions académiques: le roi est le souverain, le citoyen est l'habitant d'une ville, marquis, baron, comte, duc, prince, sont des termes de dignités. Un roi, est un usurpateur, un tyran, l'oppresseur de la liberté publique: un citoyen est un membre de la cité du corps social, du souverain. Marquis, baron, comte, duc, prince, sont des expressions jadis inventées par l'orgueil, adoptées par la bassesse, maintenant effacées par le niveau de l'égalité, et réléguées sur la scène, pour devenir un objet de dérision. (Domergue, Adresse aux communes et aux sociétés populaires de la République, 1794)

Définir les mots en fonction d'idées justes, préalablement analysées, c'est une idée qui est vivement discutée parmi les Idéologues et constitue un sujet important dans les cours de Grammaire Générale dans les Écoles Centrales.

Un nouveau calendrier

En octobre 1793, la Convention nationale décrète un nouveau calendrier qui symbolise la nouvelle Ère des Français. Comme les poids et mesures nouvellement établis, le calendrier est basé sur le système décimal. Les nouveaux mois républicains, qui puisent leurs noms dans les saisons et le cours de l'année, ont trente jours, soit trois décades. Une année comporte douze mois et cinq jours complémentaires. Le premier jour du calendrier républicain est daté au jour de la fondation de la République, à savoir le 22 septembre 1792. Il a cessé d'être en vigueur le 10 nivôse an XIV (31/12/1805).

Une Nation - une langue

A la veille de la Révolution, le français est loin d'être parlé partout dans le pays. Comment peut-on dans ces conditions répandre les décisions du gouvernement révolutionnaire dans les régions non-francophones?
Dès 1790, on élabore des projets de traduction pour toutes ces régions. L'exemple le plus connu est celui de Dugas, chargé de traduire les nouveaux décrets et lois dans les idiomes méridionaux. Faute de connaissances suffisantes des idiomes parlés dans les départements, ce projet est condamné à l'échec.
Au fur et à mesure que la Révolution progresse, la politique linguistique tente de plus en plus vers l'établissement du français comme langue nationale. C'est dans ce contexte que le rapport Barère sur les idiomes (8 pluviôse an II (27/1/1794)) marque une date importante: Le fédéralisme et la superstition parlent bas-breton; l'émigration et la haine de la République parlent allemand; la contre-révolution parle l'italien, et le fanatisme parle le basque. Brisons ces instruments de dommage et d'erreur. (Barère). De cette dévalorisation des langues autres que le français, il n'y a qu'un pas à faire jusqu'à la revendication d'imposer le français comme langue de la liberté dans la République une et indivisible. Cette revendication est formulée sans équivoque dans le rapport de Grégoire sur la nécessité et les moyens d'anéantir les patois et d'universaliser l'usage de la langue française du 16 prairial an II (4/6/1794). Selon lui, avec trente patois différents, [la France est] encore, pour le langage, à la tour de Babel [...]. C'est pourquoi il propose d'uniformer le langage d'une grande nation, de manière que tous les citoyens qui la composent, puissent sans obstacle se communiquer leurs pensées.

Réformes de l'instruction publique

Après une multitude de tentatives d'adapter l'instruction et l'éducation aux nouvelles données de la société révolutionnaire, on crée, le 14 octobre 1791, le Comité d'Instruction publique qui établit une commission d'instruction responsable d'élaborer un plan détaillé pour la réorganisation de l'instruction publique. Ce sont surtout les idées de Condorcet qui dominent la discussion. Condorcet présente, en avril 1792, un rapport et un projet de décret sur l'organisation générale de l'instruction publique à l'Assemblée. Il y rompt avec le système pédagogique de l'Ancien Régime et pose les bases pour tout débat ultérieur de la question. Condorcet accorde une place importante à l'enseignement primaire, sachant que son bon fonctionnement est le fondement indispensable de l'enseignement secondaire. En revanche, la loi Daunou du 3 brumaire an IV (25/10/1795) révèle un changement de perspective: elle néglige l'enseignement primaire en faveur de l'enseignement secondaire visant à créer une nouvelle élite républicaine. C'est cette loi qui règle l'établissement de l'École Centrale et de l'Institut National, tous deux des institutions influencées par les Idéologues.

L'École Normale

Existe-t-il en France, existe-t-il en Europe, existe-t-il sur la terre deux ou trois cents hommes [...] en état d'enseigner les arts utiles et les connaissances nécessaires, avec ces méthodes qui rendent les esprits plus pénétrants et les vérités plus claires; avec ces méthodes qui, en vous apprenant une chose, vous apprennent à raisonner sur toutes? Non: ce nombre d'hommes, quelque petit qu'il paraisse, n'existe nulle part sur la terre. Il faut donc les former... (Lakanal, Rapport sur l'établissement des Écoles normales, 2 brumaire an III (23/10/1794))

Le 1er pluviôse an III (20/1/1795), l'École Normale ouvre ses portes. Elle doit garantir la formation des futurs enseignants en leur transmettant l'art d'enseigner les sciences. Elle regroupe les savants les plus renommés de l'époque: Garat y donne son cours d'analyse de l'entendement suivi par de futurs professeurs de Grammaire Générale. Sicard y enseigne la grammaire, Volney est chargé du cours d'histoire. L'École Normale occupe une place importante dans le projet pédagogique des Idéologues, pourtant l'École Normale n'est en fonction que peu de temps. Elle est fermée le 30 floréal an III (19/5/1795).

L'Institut National

Outre l'organisation des Écoles Centrales, la loi Daunou établit l'Institut National des sciences et des arts qui remplace l'Académie Française, abolie par la Convention, comme toutes les autres académies, le 8 août 1793. L'Institut National, cette encyclopédie vivante, est destiné 1° à perfectionner les sciences et les arts par des recherches non interrompues, par la publication des découvertes, par la correspondance avec les sociétés étrangères; 2° à suivre, conformément aux lois et arrêtés du Directoire exécutif, les travaux scientifiques et littéraires qui auront pour objet l'utilité général de la gloire de la République. L'innovation fondamentale de l'Institut consiste dans la création de la classe des sciences morales et politiques. C'est dans une des six sections de cette classe, à savoir dans la section de l'analyse des sensations et des idées, que se réunissent les Idéologues Destutt de Tracy, Cabanis, Garat, Ginguené et Volney. C'est ici que Destutt de Tracy lit ses Mémoires sur la faculté de penser dans lesquels il développe la nouvelle science des idées, l'Idéologie. La classe des sciences morales et politiques est supprimée le 17 nivôse an XI (23/1/1803).