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La langue à
la hauteur de la Révolution
Dans leur aspiration
à rompre radicalement avec la société et les symboles de l'Ancien
régime, les acteurs de la Révolution Française attachent une importance
primordiale à la régénération de la langue. Les mots employés
jusqu'ici par les aristocrates ne peuvent plus être les mêmes pour
les révolutionnaires. A part la création d'une foule de néologismes,
c'est la signification des mots qui est fondamentalement mise en
question. La discussion autour de l'abus des mots, discussion
de grande actualité pendant les Lumières, atteint un point culminant
pendant la Révolution Française. Adhérants et adversaires de la
Révolution s'accusent réciproquement de falsifier la langue pour
atteindre leurs buts politiques respectifs.
Comment
pourrait-on mieux remédier à cet abus et établir un nouvel usage
de la langue française qu'avec un dictionnaire? A partir de 1789
de nombreux auteurs rédigent des dictionnaires révolutionnaires
et contre-révolutionnaires pour recueillir et discuter les changements
survenus dans la langue française. Le grammairien patriote François-Urbain
Domergue, futur professeur de Grammaire Générale à l'École Centrale
des Quatre Nations prend parole, lui aussi, en faveur de
l'élaboration d'un dictionnaire régénéré:
...erreurs
politiques, danger à chaque page, à chaque mot, tels sont nos lexiques
depuis le riche portatif, jusqu'au grand dictionnaire des quarante
immortels, dont l'heureuse mort a délivré la langue des chaînes
où elle languissoit esclave, pauvre, sans honneur et sans courage.
Faisons un dictionnaire républicain, avoué par la raison, par le
goût, par la saine politique, où chaque mot, peignant une idée juste,
l'œil du français ne soit plus blessé en lisant ces définitions
académiques: le roi est le souverain, le citoyen est l'habitant
d'une ville, marquis, baron, comte, duc, prince, sont des termes
de dignités. Un roi, est un usurpateur, un tyran, l'oppresseur de
la liberté publique: un citoyen est un membre de la cité du corps
social, du souverain. Marquis, baron, comte, duc, prince, sont des
expressions jadis inventées par l'orgueil, adoptées par la bassesse,
maintenant effacées par le niveau de l'égalité, et réléguées sur
la scène, pour devenir un objet de dérision. (Domergue, Adresse
aux communes et aux sociétés populaires de la République, 1794)
Définir les
mots en fonction d'idées justes, préalablement analysées, c'est
une idée qui est vivement discutée parmi les Idéologues et
constitue un sujet important dans les cours de Grammaire Générale
dans les Écoles Centrales.
Un nouveau
calendrier
En octobre 1793, la Convention nationale décrète un nouveau calendrier
qui symbolise la nouvelle Ère des Français. Comme les poids
et mesures nouvellement établis, le calendrier est basé sur le système
décimal. Les nouveaux mois républicains, qui puisent leurs noms
dans les saisons et le cours de l'année, ont trente jours, soit
trois décades. Une année comporte douze mois et cinq jours complémentaires.
Le premier jour du calendrier républicain est daté au jour de la
fondation de la République, à savoir le 22 septembre 1792. Il a
cessé d'être en vigueur le 10 nivôse an XIV (31/12/1805).
Une Nation
- une langue
A la veille
de la Révolution, le français est loin d'être parlé partout dans
le pays. Comment peut-on dans ces conditions répandre les décisions
du gouvernement révolutionnaire dans les régions non-francophones?
Dès 1790, on élabore des projets de traduction pour toutes ces régions.
L'exemple le plus connu est celui de Dugas, chargé de traduire les
nouveaux décrets et lois dans les idiomes méridionaux. Faute
de connaissances suffisantes des idiomes parlés dans les départements,
ce projet est condamné à l'échec.
Au fur et à mesure que la Révolution progresse, la politique linguistique
tente de plus en plus vers l'établissement du français comme langue
nationale. C'est dans ce contexte que le rapport Barère sur les
idiomes (8 pluviôse an II (27/1/1794)) marque une date importante:
Le fédéralisme et la superstition parlent bas-breton; l'émigration
et la haine de la République parlent allemand; la contre-révolution
parle l'italien, et le fanatisme parle le basque. Brisons ces instruments
de dommage et d'erreur. (Barère). De cette dévalorisation des
langues autres que le français, il n'y a qu'un pas à faire jusqu'à
la revendication d'imposer le français comme langue de la liberté
dans la République une et indivisible. Cette revendication est
formulée sans équivoque dans le rapport de Grégoire sur
la nécessité et les moyens d'anéantir les patois et d'universaliser
l'usage de la langue française du 16 prairial an II (4/6/1794).
Selon lui, avec trente patois différents, [la France est] encore,
pour le langage, à la tour de Babel [...]. C'est pourquoi il
propose d'uniformer le langage d'une grande nation, de manière
que tous les citoyens qui la composent, puissent sans obstacle se
communiquer leurs pensées.
Réformes
de l'instruction publique
Après une multitude
de tentatives d'adapter l'instruction et l'éducation aux nouvelles
données de la société révolutionnaire, on crée, le 14 octobre 1791,
le Comité d'Instruction publique qui établit une commission
d'instruction responsable d'élaborer un plan détaillé pour la réorganisation
de l'instruction publique. Ce sont surtout les idées de Condorcet
qui dominent la discussion. Condorcet présente, en avril 1792, un
rapport et un projet de décret sur l'organisation générale de l'instruction
publique à l'Assemblée. Il y rompt avec le système pédagogique de
l'Ancien Régime et pose les bases pour tout débat ultérieur de la
question. Condorcet accorde une place importante à l'enseignement
primaire, sachant que son bon fonctionnement est le fondement indispensable
de l'enseignement secondaire. En revanche, la loi Daunou du 3 brumaire
an IV (25/10/1795) révèle un changement de perspective: elle néglige
l'enseignement primaire en faveur de l'enseignement secondaire visant
à créer une nouvelle élite républicaine. C'est cette loi qui règle
l'établissement de l'École Centrale et de l'Institut National, tous
deux des institutions influencées par les Idéologues.
L'École Normale
Existe-t-il
en France, existe-t-il en Europe, existe-t-il sur la terre deux
ou trois cents hommes [...] en état d'enseigner les arts utiles
et les connaissances nécessaires, avec ces méthodes qui rendent
les esprits plus pénétrants et les vérités plus claires; avec ces
méthodes qui, en vous apprenant une chose, vous apprennent à raisonner
sur toutes? Non: ce nombre d'hommes, quelque petit qu'il paraisse,
n'existe nulle part sur la terre. Il faut donc les former... (Lakanal,
Rapport sur l'établissement des Écoles normales, 2 brumaire
an III (23/10/1794))
Le 1er pluviôse
an III (20/1/1795), l'École Normale ouvre ses portes. Elle doit
garantir la formation des futurs enseignants en leur transmettant
l'art d'enseigner les sciences. Elle regroupe les savants les plus
renommés de l'époque: Garat y donne son cours d'analyse de l'entendement
suivi par de futurs professeurs de Grammaire Générale. Sicard y
enseigne la grammaire, Volney est chargé du cours d'histoire. L'École
Normale occupe une place importante dans le projet pédagogique des
Idéologues, pourtant l'École Normale n'est en fonction que
peu de temps. Elle est fermée le 30 floréal an III (19/5/1795).
L'Institut
National
Outre l'organisation
des Écoles Centrales, la loi Daunou établit l'Institut National
des sciences et des arts qui remplace l'Académie Française,
abolie par la Convention, comme toutes les autres académies, le
8 août 1793. L'Institut National, cette encyclopédie vivante,
est destiné 1° à perfectionner les sciences et les arts par des
recherches non interrompues, par la publication des découvertes,
par la correspondance avec les sociétés étrangères; 2° à suivre,
conformément aux lois et arrêtés du Directoire exécutif, les travaux
scientifiques et littéraires qui auront pour objet l'utilité général
de la gloire de la République. L'innovation fondamentale de
l'Institut consiste dans la création de la classe des sciences
morales et politiques. C'est dans une des six sections de cette
classe, à savoir dans la section de l'analyse des sensations
et des idées, que se réunissent les Idéologues Destutt de Tracy,
Cabanis, Garat, Ginguené et Volney. C'est ici que Destutt de Tracy
lit ses Mémoires sur la faculté de penser dans lesquels il
développe la nouvelle science des idées, l'Idéologie. La classe
des sciences morales et politiques est supprimée le 17 nivôse
an XI (23/1/1803).
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